
Douzième jour : Maradi-N'Guimi - Avant-hier, j'ai allumé le feu; hier aussi. Je ne suis pas pyromane; est-il que j'aime la flamme. Est-il figure pour toujours, est-il. Dans son testament la Congolaise va prendre des dispositions pour être incinérée, pas dans un four, à l'air libre. Elle dit : - Mon mari dispersera les cendres dans les pays où je ne serai pas allée. -Tous les pays? - Tous les pays où nous avions prévu d'aller ensemble. Elle a voyagé en Chine, au Pérou, aux Etats-Unis. Elle veut connaître la Colombie pour écouter la flûte qu'on joue là-bas, et l'Inde. On ne voit rien. Elle dit : - Ce n'est pas le vent de sable, c'est le brouillard. Elle tient des carnets sur ses voyages. - C'est pour ma fille. Plus tard, elle pourra s'en nourrir. - Tu veux qu'elle devienne écrivain ? - Oui. Pourquoi en venons-nous à son nom? Elle dit : - Mon nom de jeune fille signifie la lune. Quand j'étais petite, j'en ai souffert. Je répondais : « Qu'est-ce que vous feriez si vous n'aviez pas la lune pour vous éclairer. » En lingala la lune signifie aussi fille vierge. La Congolaise a un grand-oncle, chasseur extraordinaire. I1 a toujours pensé qu'il finirait tué par un animal, seule fin digne pour un chasseur. II chassa un éléphant, s'approcha, tira. La balle n'est pas partie : - L'éléphant l'a piétiné. Il avait demandé que si ça arrivait, les gens autour ne tirent pas sur l'animal. On n'a pas tiré. La balle est finalement partie. L'éléphant s'est écroulé à ses côtés. On a mis ses restes sur un brancard. La tante de la Congolaise va conserver un os qu'on a fait coudre dans un tissu. Je dis : - Qu'est-ce qu'on chasse, en Afrique? Le lion? - Non, pas 1e lion; c'est le roi des animaux. On ne le tue que s'il attaque. On chasse le buffle, l'antilope, le phacochère. - Le lion n'attaque jamais? - Non, sauf si la personne est faible ou malade; et s'il a faim. C'est la femelle qui attaque, pas le mâle. Lui mange, on lui réserve toujours le coeur. Quand elle faisait la cuisine dans son hôtel, la spécialité de la Lune était l'escalope de caïman, le carré d'antilope à la diable, le python à la moutarde. Elle a été élevée par la patronne de son père, blanche. Elle dit : -Je suis à cheval sur tout. Je suis une fausse Africaine. On me demande : « Qui es-tu? » Je réponds : « Je suis * * *, un point c'est tout. >? On est obligé de tracer sa route. On n'est chez soi nulle part. » Nous découvrons un impact au bas du pare-brise. Elle dit : - C'est l'étoile qui va nous guider. A 9 heures, nous sommes à Zinder. Une poliomyélitique sans main gauche me tend une coupe et annonce en litanie : - Sara, Sara, Sara. Nous stoppons devant la boutique de Ebhey Mohamed. Ahmed Gatrony, commerçant. Deux soleils sont de chaque côté de l'enseigne. Une voiture de police s'arrête : - Vous avez une autorisation de photographier? Nous déguerpissons. J'entre chez Abdu qui tient un magasin de pièces détachées. Sa fille s'appelle Zara. Je dis : - Que signifie Sara? Il confirme : hacher, trancher, les arbres, les têtes. II ne veut pas que ses enfants portent des cicatrices raciales. Il dit : - Ce n'est plus la mode. Nous continuons. « La justice sociale impliqüe la Justice tout court. » La Lune dit : - I1 y a un sorcier dans le groupe. - Pourquoi? - Je le sens. La Belge dit : - Une sorcière plutôt. La Lune parle de la fête de l'arbre, au Congo, le 6 mars: tout le monde en plante un, du Président au quidam. Les Eaux et Forêts les distribuent. La Belge dit : - Quand j'imagine le Congo, pourtant, c'est plein d'arbres. - Le désert se propage en Afrique. Des chevaux paissent au hasard. Des chameaux s'accroupissent pour se reposer; un autre mange les feuilles d'un arbre, avec un oiseau sur le dos. Le sable me fait pleurer. A Maine Soroa, Ousmane joue avec un cercle en aluminium qu'il fait avancer à l'aide d'une tige. Il dit : - C'est une voiture. Sa mère a les dents rouges. Je demande ce que c'est; gêné il dit : - Elle va le retirer. Devant la gendarmerie nationale, La Lune dit : - Cette habitude au Niger de se signaler quand on arrive dans un village était justifiée par le fait que beaucoup de gens, avant les routes, se perdaient dans le désert. C'était un moyen de contrôle. Je parle avec un autre enfant. Je dis : - Qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? - C'est la chance. Il hausse les épaules. Je dis : - Est-ce que tu veux cultiver les champs ou faire quelque chose d'autre? - C'est la chance; peut-être je serai quelqu'un de grand. Peut-être, j'irai tendant la main. A 23 h 07, nous sommes à 100 km du Tchad. Il fallait arriver pour que les convoyeurs, chargés de nous acheminer, ne rebroussent pas chemin. Ils conduiront demain et aprèsdemain car le passage que nous attaquons est périlleux, le sable dangereux. Nous dormons dans les bâtiments de la météorologie nationale. Je ris; je dis : - Mais qu'est-ce qu'ils peuvent prévoir? A part beau et sec; une fille se saoule à la bière et au whisky pour pouvoir dormir. |